Qu’est-ce que le Décalogue veut mettre en avant ? Pourquoi cinq paroles concernant Dieu suivies de cinq paroles concernant l’homme ? Pourquoi cette juxtaposition ? Eh bien, il y a un point commun entre Dieu et l’être humain : l’un et l’autre nous échappent. Que nous soyons face à Dieu ou face à autrui, nous sommes confrontés à la différence. Une distance s’établit entre nous et Dieu, comme entre nous et n’importe quelle autre personne. Cette distance est nécessaire : elle permet le respect de l’autre, indispensable dans toute relation. Paradoxalement, on ne peut être vraiment proche d’une personne que si cette distance est respectée.
Aimer Dieu ou aimer l’homme conduit alors à une seule et même chose : à nous décentrer de nous-mêmes, à ne plus être une norme absolue pour nous-mêmes. A ne plus nous prendre nous-mêmes pour le centre de l’univers. Il s’agit de comprendre que nous ne pouvons pas nous suffire à nous-mêmes, que nous ne pouvons pas vivre seuls, coupés du monde extérieur : nous avons besoin de Dieu, nous avons besoin de l’autre, nous avons besoin de laisser agir dans nos vies quelqu’un d’extérieur à nous. Dieu ne se confond pas avec nous-mêmes. L’être humain que nous rencontrons, lui non plus, ne se confond pas avec nous-mêmes.
Le théologien Dietrich Bonhoeffer donnera cette définition de la foi : il dira que croire veut dire fonder sa vie sur une base en dehors de soi-même. C’est ce que les spécialistes de la Loi ne font pas. Ils sont leur propre loi. Mais nous, nous sommes invités à sortir de notre enfermement, à nous libérer de nous-mêmes, en nous laissant transformer par la différence : Dieu fait en nous une œuvre de libération.
Alors, la question du spécialiste de la Loi, même si elle était mal intentionnée, n’a pas été vaine. Elle a donné l’occasion à Jésus de nous rendre attentifs au fait que dans le Décalogue, Dieu et l’homme sont présents à parts égales, et que toute personne, parce qu’elle diffère de nous, au même titre que Dieu, nous aidera à sortir de nous-mêmes et à nous libérer.