Carême 2023 à Saint Éloi

Chers paroissiens,
Le carême nous invite à prendre de la hauteur. A regarder le chemin que prend notre vie. En reconnaissant Jésus, mort et ressuscité comme le Sauveur de toute l’humanité, nous souhaitons vivre notre vie humaine sous tous ses aspects que sont notre relation à Dieu, aux autres et à nous-même.
C’est pourquoi nous sommes invités à retrouver cette année les trois piliers de la vie chrétienne : Avec l’aumône nous tissons notre relation aux autres, avec la prière nous approfondissons notre relation à Dieu, et le jeûne nous aide à découvrir les vraies valeurs de la vie. C’est un chemin de Joie !
Ce livret est donc riche en propositions diverses sur ces trois sujets, que nous cheminions vers Pâques seul, en famille, avec nos familles et en communauté. Il y aura des temps forts à vivre ensemble : la prière pour l’Espérance, la soirée bol de riz, les journées du pardon. Prenez-en un exemplaire pour vous et deux autres pour les distribuer autour de vous. C’est un beau cadeau !
Une vingtaine de groupes de carême se réuniront deux ou trois fois pour échanger et prier. Pour en rejoindre un, inscrivez-vous au fond de l’église ou au secrétariat.
Ce livret est fait pour renouveler notre désir de Dieu à travers le jeûne, l’aumône et la prière mais aussi à travers les cinq évangiles des dimanches vers Pâques. Devant chaque texte nous sommes invités à nous questionner :
Que révèle Jésus sur lui-même ?
De quoi veut-il nous sauver ?
A quoi suis-je appelé ?

Nous vous proposons aussi d’aller sur le site de la paroisse dans la rubrique Carême pour approfondir votre foi (site www.st eloi.com). Bon Carême !

Le Père Ghislain Mahoukou, curé
Le Conseil d’Animation Pastorale



PREMIER DIMANCHE

La tentation au désert

En ce temps-là, Jésus fut conduit au désert par l’Esprit pour être tenté par le diable. Après avoir jeûné quarante jours et quarante nuits, il eut faim. Le tentateur s’approcha et lui dit :
« Si tu es Fils de Dieu, ordonne que ces pierres deviennent des pains. » Mais Jésus répondit : « Il est écrit : L’homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu. » Alors le diable l’emmène à la Ville sainte, le place au sommet du Temple et lui dit : « Si tu es Fils de Dieu, jette-toi en bas ; car il est écrit : Il donnera pour toi des ordres à ses anges,
et : Ils te porteront sur leurs mains, de peur que ton pied ne heurte une pierre. » Jésus lui déclara : « Il est encore écrit : Tu ne mettras pas à l’épreuve le Seigneur ton Dieu. » Le diable l’emmène encore sur une très haute montagne et lui montre tous les royaumes du monde et leur gloire. Il lui dit : « Tout cela, je te le donnerai, si, tombant à mes pieds, tu te prosternes devant moi. ». Alors, Jésus lui dit : « Arrière, Satan ! car il est écrit : C’est le Seigneur ton Dieu que tu adoreras, à lui seul tu rendras un culte. » Alors le diable le quitte. Et voici que des anges s’approchèrent, et ils le servaient.

Commentaire (JM Gueullette – Laisse Dieu être Dieu en toi) :

Renoncer, pour vivre.

Le renoncement : voilà un terme du vocabulaire chrétien qui fait peur, et qui fait fuir. On n’y voit que l’appel à une vie triste et austère, privée de tout plaisir et de toute joie. Le renoncement dont il est question ici n’est pas le refus de la joie mais la recherche de la liberté. On ne renonce pas aux créatures car elles sont mauvaises, mais parce qu’elles ne sont que des créatures et que Dieu est quand même beaucoup plus passionnant que ce qu’il a créé. D’autant plus que si on se tourne radicalement vers Dieu, alors on trouvera les créatures qui sont à son image. On les retrouvera à leur place, qui n’est pas la première place.

Se détacher, pour être libre.

Il est plus juste de parler de détachement que de renoncement. Se détacher, c’est se libérer, c’est ne plus s’attacher ou être attaché. Si on y pense, c’est une situation, une expression terrible, être attaché. Et pourtant, qu’ils sont nombreux les gens qui sont attachés à leur chat, à leur maison ou à telle ou telle forme de pratique religieuse. Chat, maison, forme de piété ne sont pas mauvais, ne sont pas diaboliques, mais cela peut gêner, prendre la place qui devrait être celle de Dieu.

On peut s’attacher au péché comme à l’extase.

Rien ne doit échapper au détachement, au sens où rien, dans la vie chrétienne n’est à l’abri de l’idolâtre Nous sommes capables de nous attacher, de nous bloquer, de nous arrêter aussi bien dans le péché que dans l’extase. Pour être vraiment libre, il faut apprendre le détachement non seulement à l’égard de ce qui est mauvais, mais aussi de ce qui est bon et beau.

Dieu notre seul bien.

Dieu ne veut pas que nos cœurs soient encombrés de biens, car il veut y habiter comme notre seul bien. Le péché, c’est de le mettre en concurrence avec d’autres biens. Le principal problème, dans la vie spirituelle, est l’occupation de l’espace : s’il y a déjà du monde, plus personne ne peut entrer. Si notre cœur est plein, si notre vie ou notre agenda sont pleins, il n’y a plus de place pour Dieu. On ne peut rien verser dans un vase déjà plein d’eau.


DEUXIEME DIMANCHE

La Transfiguration

En ce temps-là, Jésus prit avec lui Pierre, Jacques et Jean son frère,
et il les emmena à l’écart, sur une haute montagne. Il fut transfiguré devant eux ; son visage devint brillant comme le soleil, et ses vêtements, blancs comme la lumière. Voici que leur apparurent Moïse et Élie,
qui s’entretenaient avec lui. Pierre alors prit la parole et dit à Jésus :
« Seigneur, il est bon que nous soyons ici ! Si tu le veux, je vais dresser ici trois tentes, une pour toi, une pour Moïse, et une pour Élie. »
Il parlait encore, lorsqu’une nuée lumineuse les couvrit de son ombre,
et voici que, de la nuée, une voix disait : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé,
en qui je trouve ma joie : écoutez-le ! » Quand ils entendirent cela, les disciples tombèrent face contre terre et furent saisis d’une grande crainte. Jésus s’approcha, les toucha et leur dit :
« Relevez-vous et soyez sans crainte ! » Levant les yeux, ils ne virent plus personne,
sinon lui, Jésus, seul. En descendant de la montagne, Jésus leur donna cet ordre :
« Ne parlez de cette vision à personne, avant que le Fils de l’homme soit ressuscité d’entre les morts. »

Commentaire (JM Gueullette – Laisse Dieu être Dieu en toi) :

Nous sommes Un

Dans la prière, il est impossible de s’engager dans la voie de l’union avec Dieu si on persiste à croire que Dieu est loin. Il ne s’agit surtout pas de prier en pensant que Dieu est là-bas et moi ici. Dieu et moi, nous sommes un », disait Maître Eckhart, Cette union n’est pas le sentiment vaguement nostalgique qui peut réunir par-delà des mers deux amants séparés. Elle est union, ici et maintenant, une union telle que les deux ne fassent plus qu’un. Ainsi l’homme peut entrer dans la vie même du Christ quand celui-ci dit « Mon Père et moi, nous sommes Un» (Jn 10, 30).

La nostalgie n’est pas la prière.

Si ta prière consiste à repenser inlassablement à telle ou telle expérience spirituelle que tu as pu faire, à un lieu qui t’a marqué, à un livre qui t’a bouleversé, tu n’es pas présent à Dieu maintenant. Tu penses à lui comme à ton ami qui est parti à l’étranger. Quand ton ami est là, quand il marche à tes côtés sur un chemin de montagne, tu ne penses pas à lui avec nostalgie. Tu ne passes pas ton temps à revoir les moments où il était là, puisqu’il est là. Penser à Dieu avec nostalgie, c’est faire comme s’il n’était pas là maintenant tout près de toi, en toi.

Dieu en toi.

Tu ne dois pas te mettre en prière en considérant que Dieu est là-bas, Dieu est au loin, Dieu est en dehors de toi. Tu peux trouver une aide à la prière en t’installant devant une icône ou devant le Saint- Sacrement. Mais il ne faut pas qu’une telle manière de faire t’entraîne à penser uniquement qu’il est là-bas et toi ici, que Dieu est en face de toi, dehors de toi. Ce genre de pratiques permet d’envisager la prière comme recherche d’un Dieu perdu dans les nuages. Si cela te rapproche de Dieu, c’est bien. Mais une telle attitude spirituelle ne favorise pas forcément l’union au sens le plus intime, le plus profond. Le mode habituel de relation à l’eucharistie, c’est de la manger, pas de la regarder de loin. La prière est rencontre, présence à Dieu qui est présent en toi, « plus intime à moi que moi-même » disait saint Augustin.

Au plus profond de ton être.

C’est dans le fond de l’âme que s’opère cette union, ce cœur à cœur. Cette découverte de Dieu présent dans le fond de l’âme, du Père qui dans l’âme engendre son Fils, est la source d’un amour et d’une confiance dont l’homme ne peut avoir idée s’il n’est habité par l’Esprit Saint.

Dieu ne s’éloigne pas de toi.

C’est une grande tristesse pour l’homme de que croire que Dieu est loin de lui. Tu es peut-être parfois loin de Dieu, mais lui n’est jamais loin de toi. Nous croyons souvent que la distance entre Dieu et nous dépend de notre foi, de nos doutes ou de nos fautes. Si tu n’as pas de ferveur, si tu te sens coupable, si tu souffres, tu dis que Dieu est loin. Mais si tu ne peux plus, dans ces moments-là, te croire près de Dieu, tu dois cependant te dire, croire, qu’il est près de toi. C’est bien cela qui se passe sur la Croix : Jésus n’a sans doute pas échappé à cette impression si humaine que Dieu n’est plus là, que Dieu se tait, que Dieu est loin. « Mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » Et pourtant, Dieu était présent à l’homme qui criait ainsi sa détresse.

Dieu est proche, sans condition.

C’est probablement l’expérience la plus marquante qui puisse nous être donné de vivre, que de découvrir la présence, la proximité de Dieu au cœur même de notre péché. L’amour de Dieu ne nous est pas offert alors comme une récompense potentielle, au cas où nous nous sortirions du péché. L’amour de Dieu, sa présence, sa proximité nous sont donnés là, dans le péché, sans plus de condition qu’ailleurs. « Si tu veux…, si tu m’ouvres ton cœur, je ferai chez toi ma demeure. »


TROISIEME DIMANCHE (12 mars)

La Samaritaine (Jean 4, 5-42)

En ce temps-là, Jésus arriva à une ville de Samarie, appelée Sykar, près du terrain que Jacob avait donné à son fils Joseph. Là se trouvait le puits de Jacob. Jésus, fatigué par la route, s’était donc assis près de la source. C’était la sixième heure, environ midi. Arrive une femme de Samarie, qui venait puiser de l’eau. Jésus lui dit : « Donne-moi à boire. ». En effet, ses disciples étaient partis à la ville pour acheter des provisions. La Samaritaine lui dit : « Comment ! Toi, un Juif, tu me demandes à boire, à moi, une Samaritaine ? » – En effet, les Juifs ne fréquentent pas les Samaritains.
Jésus lui répondit : « Si tu savais le don de Dieu et qui est celui qui te dit : “Donne-moi à boire”, c’est toi qui lui aurais demandé, et il t’aurait donné de l’eau vive.»
Elle lui dit : « Seigneur, tu n’as rien pour puiser, et le puits est profond. D’où as-tu donc cette eau vive ? Serais-tu plus grand que notre père Jacob qui nous a donné ce puits, et qui en a bu lui-même, avec ses fils et ses bêtes ? » Jésus lui répondit : « Quiconque boit de cette eau aura de nouveau soif ; mais celui qui boira de l’eau que moi je lui donnerai n’aura plus jamais soif ; et l’eau que je lui donnerai deviendra en lui une source d’eau jaillissant pour la vie éternelle. »
La femme lui dit : « Seigneur, donne-moi de cette eau, que je n’aie plus soif, et que je n’aie plus à venir ici pour puiser. » Jésus lui dit : « Va, appelle ton mari, et reviens. » La femme répliqua : « Je n’ai pas de mari. » Jésus reprit : « Tu as raison de dire que tu n’as pas de mari : des maris, tu en as eu cinq, et celui que tu as maintenant n’est pas ton mari ; là, tu dis vrai. »
La femme lui dit : « Seigneur, je vois que tu es un prophète !… Eh bien ! Nos pères ont adoré sur la montagne qui est là, et vous, les Juifs, vous dites que le lieu où il faut adorer est à Jérusalem. »

Jésus lui dit :« Femme, crois-moi : l’heure vient où vous n’irez plus ni sur cette montagne ni à Jérusalem pour adorer le Père. Vous, vous adorez ce que vous ne connaissez pas ; nous, nous adorons ce que nous connaissons, car le salut vient des Juifs. Mais l’heure vient – et c’est maintenant – où les vrais adorateurs adoreront le Père en esprit et vérité : tels sont les adorateurs que recherche le Père. Dieu est esprit, et ceux qui l’adorent, c’est en esprit et vérité qu’ils doivent l’adorer. »

La femme lui dit :« Je sais qu’il vient, le Messie, celui qu’on appelle Christ. Quand il viendra, c’est lui qui nous fera connaître toutes choses. »

Jésus lui dit :« Je le suis, moi qui te parle. »
À ce moment-là, ses disciples arrivèrent ; ils étaient surpris de le voir parler avec une femme. Pourtant, aucun ne lui dit : « Que cherches-tu ? » ou bien : « Pourquoi parles-tu avec elle ? »
La femme, laissant là sa cruche, revint à la ville et dit aux gens : « Venez voir un homme qui m’a dit tout ce que j’ai fait. Ne serait-il pas le Christ ? » Ils sortirent de la ville, et ils se dirigeaient vers lui.
Entre-temps, les disciples l’appelaient : « Rabbi, viens manger. »
Mais il répondit : « Pour moi, j’ai de quoi manger : c’est une nourriture que vous ne connaissez pas. » Les disciples se disaient entre eux : « Quelqu’un lui aurait-il apporté à manger ? » Jésus leur dit : « Ma nourriture, c’est de faire la volonté de Celui qui m’a envoyé et d’accomplir son œuvre. Ne dites-vous pas : “Encore quatre mois et ce sera la moisson” ? Et moi, je vous dis : Levez les yeux et regardez les champs déjà dorés pour la moisson. Dès maintenant, le moissonneur reçoit son salaire : il récolte du fruit pour la vie éternelle, si bien que le semeur se réjouit en même temps que le moissonneur. Il est bien vrai, le dicton : “L’un sème, l’autre moissonne.” Je vous ai envoyés moissonner ce qui ne vous a coûté aucun effort ; d’autres ont fait l’effort, et vous en avez bénéficié. »
Beaucoup de Samaritains de cette ville crurent en Jésus, à cause de la parole de la femme qui rendait ce témoignage : « Il m’a dit tout ce que j’ai fait. » Lorsqu’ils arrivèrent auprès de lui, ils l’invitèrent à demeurer chez eux. Il y demeura deux jours. Ils furent encore beaucoup plus nombreux à croire à cause de sa parole à lui, et ils disaient à la femme : « Ce n’est plus à cause de ce que tu nous as dit que nous croyons : nous-mêmes, nous l’avons entendu, et nous savons que c’est vraiment lui le Sauveur du monde. »

Commentaire (Marie-Noëlle Thabut – L’intelligence des Ecritures) :

Aux yeux des Pharisiens la Samarie passait pour avoir bien besoin de conversion. La brouille entre Judéens et Samaritains remontait loin : du côté de Jérusalem, on considérait depuis longtemps les Samaritains comme des hérétiques, parce que certains d’entre eux descendaient de populations païennes installées là par l’Empire assyrien après la conquête de Samarie. Mais, soyons francs, les Samaritains le leur rendaient bien ; car il n’y avait pas quand même que des descendants de populations déplacées parmi eux, il y avait également des descendants de tribus du Nord et qui essayaient tout autant que les habitants de Jérusalem de rester fidèles la loi de Moïse ; ils trouvaient tout autant de reproches à faire à ceux qui se croyaient plus purs qu’eux à Jérusalem. (…) La méfiance mutuelle n’avait fait que se durcir au cours des siècles ; on la ressentait très nettement à l’époque du Christ. D’où l’étonnement de la femme de Samarie : un Juif s’abaisserait-il à lui demander quelque chose ?

Mais simplement parce qu’elle l’a écouté, Jésus peut lui proposer le don véritable « Si tu savais le don de Dieu, si tu connaissais celui qui te parle » ; le don de Dieu, c’est Jésus lui-même ; c’est de le connaître : Jésus le redit dans sa dernière prière, toujours dans l’évangile de Jean « la vie éternelle, c’est qu’il te connaissent, toi et celui que tu as envoyé » (Jn 17, 3).

Bien qu’ils soient des hérétiques aux yeux des Pharisiens de Jérusalem, les Samaritains attendent, eux aussi, le Messie et ils savent qu’il leur fera tout connaître : comme la Samaritaine le dit à Jésus
« Je sais qu’il vient le Messie, celui qu’on appelle Christ. Quand il viendra, il nous fera connaître toutes choses. » Simplement parce qu’elle a accepté le dialogue, parce qu’elle a été ouverte, parce qu’elle a demandé de bonne foi une explication sur ce qu’il fallait faire pour plaire à Dieu, elle peut entrer dans cette connaissance du Messie « Je le suis, moi qui te parle. »

Tout au long de ce récit, Jean nous fait comprendre qu’avec la venue du Messie, la face du monde est changée : toutes les questions ont trouvé leur réponse, les temps sont accomplis : l’heure vers laquelle tendait toute l’histoire humaine a sonné. Désormais, le culte n’est plus une affaire de lieu, de temple, de montagne. L’eau vive jaillit dans chaque cœur croyant : « Celui qui boira de cette eau que moi je lui donnerai n’aura plus jamais soif ; et l’eau que je lui donnerai deviendra en lui source jaillissant pour la vie éternelle. » Vous avez remarqué l’insistance de Jésus sur le don : avec le Dieu d’amour tout est don et pardon ; la Samaritaine qui se sait bien peu vertueuse accueille tout simplement, (plus simplement que d’autres, peut-être ?) le don et le pardon.
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QUATRIEME DIMANCHE (19 mars)

La guérison de l’aveugle-né (Jean 9,1-41)

En ce temps-là, en sortant du Temple, Jésus vit sur son passage un homme aveugle de naissance.
Ses disciples l’interrogèrent : « Rabbi, qui a péché, lui ou ses parents,
pour qu’il soit né aveugle ? » Jésus répondit : « Ni lui, ni ses parents n’ont péché. Mais c’était pour que les œuvres de Dieu se manifestent en lui.
Il nous faut travailler aux œuvres de Celui qui m’a envoyé, tant qu’il fait jour ; la nuit vient où personne ne pourra plus y travailler. Aussi longtemps que je suis dans le monde, je suis la lumière du monde. »

Cela dit, il cracha à terre et, avec la salive, il fit de la boue ; puis il appliqua la boue sur les yeux de l’aveugle, et lui dit :
« Va te laver à la piscine de Siloé » – ce nom se traduit : Envoyé.
L’aveugle y alla donc, et il se lava ; quand il revint, il voyait.
Ses voisins, et ceux qui l’avaient observé auparavant car il était mendiant dirent alors :
« N’est-ce pas celui qui se tenait là pour mendier ? ». Les uns disaient :
« C’est lui. » Les autres disaient :« Pas du tout, c’est quelqu’un qui lui ressemble. » Mais lui disait :« C’est bien moi. » Et on lui demandait : « Alors, comment tes yeux se sont-ils ouverts ? »
Il répondit : « L’homme qu’on appelle Jésus a fait de la boue, il me l’a appliquée sur les yeux et il m’a dit : ‘Va à Siloé et lave-toi.’ J’y suis donc allé et je me suis lavé ; alors, j’ai vu. »
Ils lui dirent : « Et lui, où est-il ? » Il répondit : « Je ne sais pas. »

On l’amène aux pharisiens, lui, l’ancien aveugle.
Or, c’était un jour de sabbat que Jésus avait fait de la boue
et lui avait ouvert les yeux. À leur tour, les pharisiens lui demandaient comment il pouvait voir.
Il leur répondit : « Il m’a mis de la boue sur les yeux, je me suis lavé, et je vois. »
Parmi les pharisiens, certains disaient : « Cet homme-là n’est pas de Dieu, puisqu’il n’observe pas le repos du sabbat. »
D’autres disaient : « Comment un homme pécheur peut-il accomplir des signes pareils ? »
Ainsi donc ils étaient divisés.
Alors ils s’adressent de nouveau à l’aveugle : « Et toi, que dis-tu de lui, puisqu’il t’a ouvert les yeux ? » Il dit : « C’est un prophète. »
Or, les Juifs ne voulaient pas croire que cet homme avait été aveugle et que maintenant il pouvait voir. C’est pourquoi ils convoquèrent ses parents et leur demandèrent : « Cet homme est bien votre fils, et vous dites qu’il est né aveugle ? Comment se fait-il qu’à présent il voie ? »
Les parents répondirent : « Nous savons bien que c’est notre fils, et qu’il est né aveugle. Mais comment peut-il voir maintenant, nous ne le savons pas ; et qui lui a ouvert les yeux, nous ne le savons pas non plus. Interrogez-le, il est assez grand pour s’expliquer. »
Ses parents parlaient ainsi parce qu’ils avaient peur des Juifs. En effet, ceux-ci s’étaient déjà mis d’accord pour exclure de leurs assemblées tous ceux qui déclareraient publiquement que Jésus est le Christ. Voilà pourquoi les parents avaient dit : « Il est assez grand, interrogez-le ! »
Pour la seconde fois, les pharisiens convoquèrent l’homme qui avait été aveugle, et ils lui dirent :
« Rends gloire à Dieu ! Nous savons, nous, que cet homme est un pécheur. »
Il répondit : « Est-ce un pécheur ? Je n’en sais rien. Mais il y a une chose que je sais : j’étais aveugle, et à présent je vois. » Ils lui dirent alors : « Comment a-t-il fait pour t’ouvrir les yeux ? »
Il leur répondit : « Je vous l’ai déjà dit, et vous n’avez pas écouté. Pourquoi voulez-vous m’entendre encore une fois ? Serait-ce que vous voulez, vous aussi, devenir ses disciples ? »
Ils se mirent à l’injurier : « C’est toi qui es son disciple ; nous, c’est de Moïse que nous sommes les disciples. Nous savons que Dieu a parlé à Moïse ; mais celui-là, nous ne savons pas d’où il est. »
L’homme leur répondit : « Voilà bien ce qui est étonnant ! Vous ne savez pas d’où il est, pourtant il m’a ouvert les yeux. Dieu, nous le savons, n’exauce pas les pécheurs, mais si quelqu’un l’honore et fait sa volonté, il l’exauce. Jamais encore on n’avait entendu dire que quelqu’un ait ouvert les yeux à un aveugle de naissance. Si lui n’était pas de Dieu, il ne pourrait rien faire. »
Ils répliquèrent : « Tu es tout entier dans le péché depuis ta naissance, et tu nous fais la leçon ? » Et ils le jetèrent dehors.
Jésus apprit qu’ils l’avaient jeté dehors. Il le retrouva et lui dit :
« Crois-tu au Fils de l’homme ? »
Il répondit :« Et qui est-il, Seigneur, pour que je croie en lui ? »
Jésus lui dit :« Tu le vois, et c’est lui qui te parle. »
Il dit :« Je crois, Seigneur ! » Et il se prosterna devant lui.

Commentaire (Marie-Noëlle Thabut – L’intelligence des Ecritures) :

On entend ici comme une illustration de ce que saint Jean disait dès le début de son évangile, dans ce qu’on appelle « le Prologue » : « Le Verbe était la vraie lumière qui, en venant dans le monde, illumine tout homme. Il était dans le monde, et le monde fut par lui, et le monde ne l’a pas reconnu. » C’est que l’on pourrait appeler le drame des évangiles. Mais Jean continue : « Mais à ceux qui l’ont reçu, à ceux qui croient en son nom, il a pouvoir devenir enfants de Dieu. »

C’est exactement ce qui se passe ici : le drame de ceux qui s’opposent à Jésus et refusent obstinément de reconnaître en lui l’envoyé de Dieu ; mais aussi et heureusement, le salut de ceux qui ont le bonheur, la grâce d’ouvrir les yeux, comme notre aveugle, aujourd’hui.

Car Jean insiste bien pour nous faire comprendre qu’il y a deux sortes d’aveuglement : la cécité naturelle, qui est le lot de cet homme depuis sa naissance, et puis, beaucoup plus grave, l’aveuglement du cœur.

Lors de sa première rencontre avec l’aveugle, Jésus a fait le geste qui le guérit de sa cécité naturelle. Lors de sa deuxième rencontre, c’est le cœur de l’aveugle que Jésus ouvre à une autre lumière, la vraie lumière. D’ailleurs, vous l’avez remarqué, Jean se donne la peine de nous expliquer le sens du mot « Siloé » qui veut dire « Envoyé. » Or, dans d’autres cas semblables, il ne donne pas le sens des mots. Cela veut dire qu’il y attache une grande importance. Jésus est vraiment envoyé par le Père pour illuminer le monde de sa présence.

Mais une fois de plus, nous butons sur le même problème : comment fait-il que celui qui était envoyé dans le monde pour y apporter la lumière de Dieu a été refusé, récusé, par ceux-là mêmes qui l’attendaient avec le plus de ferveur ? (…)

On sait qu’au temps de Jésus cette impatience de la venue du Messie agitait tous les esprits. Il faut se mettre à la place des contemporains de Jésus : pour eux tout le problème était donc de savoir s’il était réellement « l’envoyé du Père »… celui que l’on attendait depuis des siècles, ou un imposteur ; c’est la grande question qui accompagnera toute la vie de Jésus: est-il le Messie, oui ou non?

Or ce qui alimentait les discussions, c’était le côté paradoxal des faits et gestes de Jésus : d’une part, il accomplissait des œuvres bonnes, qui sont bien celles qu’on attendait du Messie: on savait qu’il rendrait la vue aux aveugles justement, et la parole aux muets, et l’ouïe aux sourds. Mais il ne se préoccupait guère du sabbat, semble-t-il ; car cet épisode de l’aveugle-né s’est passé un jour de sabbat justement. Or si Jésus était l’envoyé de Dieu comme il le prétendait, il respecterait le sabbat, c’est évident.

Ce sont précisément ces évidences qui sont le problème : encore une fois, les Juifs du temps de Jésus attendaient le Messie, l’aveugle tout autant que l’ensemble du peuple et les autorités religieuses. Mais nombre d’entre eux avaient trop d’idées bien arrêtées sur ce qu’il est bien de faire ou dire et n’étaient pas prêts à l’inattendu de Dieu. (…)

L’aveugle, lui, n’est pas empêtré dans des idées toutes faites: il leur répond tranquillement : « Comme chacun sait, Dieu n’exauce pas les pécheurs, mais si quelqu’un l’honore et fait sa volonté, il l’exauce. Jamais encore on n’avait entendu dire qu’un homme ait ouvert les yeux à un aveugle de naissance. Si cet homme-là ne venait pas de Dieu, il ne pourrait rien faire. » Mais c’est toujours la même histoire : celui qui s’enferme dans ses certitudes ne peut même plus ouvrir les yeux; tandis que celui qui fait un pas sur le chemin de foi est prêt à accueillir la grâce qui s’offre ; alors il peut recevoir de Jésus la véritable lumière.


CINQUIEME DIMANCHE (26 mars)

Le relèvement de Lazare (Jn 11, 1-45)

En ce temps-là, il y avait quelqu’un de malade, Lazare, de Béthanie, le village de Marie et de Marthe, sa sœur. Or Marie était celle qui répandit du parfum sur le Seigneur et lui essuya les pieds avec ses cheveux. C’était son frère Lazare qui était malade.
Donc, les deux sœurs envoyèrent dire à Jésus : « Seigneur, celui que tu aimes est malade. » En apprenant cela, Jésus dit : « Cette maladie ne conduit pas à la mort, elle est pour la gloire de Dieu, afin que par elle le Fils de Dieu soit glorifié. »
Jésus aimait Marthe et sa sœur, ainsi que Lazare. Quand il apprit que celui-ci était malade, il demeura deux jours encore à l’endroit où il se trouvait. Puis, après cela, il dit aux disciples : « Revenons en Judée. »
Les disciples lui dirent : « Rabbi, tout récemment, les Juifs, là-bas, cherchaient à te lapider, et tu y retournes ? » Jésus répondit : « N’y a-t-il pas douze heures dans une journée ? Celui qui marche pendant le jour ne trébuche pas, parce qu’il voit la lumière de ce monde ; mais celui qui marche pendant la nuit trébuche, parce que la lumière n’est pas en lui. »
Après ces paroles, il ajouta : « Lazare, notre ami, s’est endormi ; mais je vais aller le tirer de ce sommeil. » Les disciples lui dirent alors : « Seigneur, s’il s’est endormi, il sera sauvé. » Jésus avait parlé de la mort ; eux pensaient qu’il parlait du repos du sommeil.
Alors il leur dit ouvertement : « Lazare est mort, et je me réjouis de n’avoir pas été là,
à cause de vous, pour que vous croyiez. Mais allons auprès de lui ! »
Thomas, appelé Didyme (c’est-à-dire Jumeau), dit aux autres disciples : « Allons-y, nous aussi, pour mourir avec lui ! »
À son arrivée, Jésus trouva Lazare au tombeau depuis quatre jours déjà.
Comme Béthanie était tout près de Jérusalem – à une distance de quinze stades (c’est-à-dire une demi-heure de marche environ) –, beaucoup de Juifs étaient venus réconforter Marthe et Marie au sujet de leur frère.
Lorsque Marthe apprit l’arrivée de Jésus, elle partit à sa rencontre, tandis que Marie restait assise à la maison. Marthe dit à Jésus : « Seigneur, si tu avais été ici, mon frère ne serait pas mort. Mais maintenant encore, je le sais, tout ce que tu demanderas à Dieu, Dieu te l’accordera. »
Jésus lui dit : « Ton frère ressuscitera. » Marthe reprit :« Je sais qu’il ressuscitera à la résurrection, au dernier jour. »
Jésus lui dit : « Moi, je suis la résurrection et la vie. Celui qui croit en moi, même s’il meurt, vivra ; quiconque vit et croit en moi ne mourra jamais. Crois-tu cela ? » Elle répondit :« Oui, Seigneur, je le crois : tu es le Christ, le Fils de Dieu, tu es celui qui vient dans le monde. »
Ayant dit cela, elle partit appeler sa sœur Marie, et lui dit tout bas : « Le Maître est là, il t’appelle. »
Marie, dès qu’elle l’entendit, se leva rapidement et alla rejoindre Jésus. Il n’était pas encore entré dans le village, mais il se trouvait toujours à l’endroit où Marthe l’avait rencontré.
Les Juifs qui étaient à la maison avec Marie et la réconfortaient, la voyant se lever et sortir si vite, la suivirent ; ils pensaient qu’elle allait au tombeau pour y pleurer.
Marie arriva à l’endroit où se trouvait Jésus. Dès qu’elle le vit, elle se jeta à ses pieds et lui dit : « Seigneur, si tu avais été ici, mon frère ne serait pas mort. » Quand il vit qu’elle pleurait, et que les Juifs venus avec elle pleuraient aussi, Jésus, en son esprit, fut saisi d’émotion, il fut bouleversé, et il demanda :« Où l’avez-vous déposé ? » Ils lui répondirent : « Seigneur, viens, et vois. »
Alors Jésus se mit à pleurer. Les Juifs disaient : « Voyez comme il l’aimait ! » Mais certains d’entre eux dirent : « Lui qui a ouvert les yeux de l’aveugle, ne pouvait-il pas empêcher Lazare de mourir ? »
Jésus, repris par l’émotion, arriva au tombeau. C’était une grotte fermée par une pierre. Jésus dit : « Enlevez la pierre. » Marthe, la sœur du défunt, lui dit : « Seigneur, il sent déjà ; c’est le quatrième jour qu’il est là. » Alors Jésus dit à Marthe : « Ne te l’ai-je pas dit ? Si tu crois, tu verras la gloire de Dieu. » On enleva donc la pierre.
Alors Jésus leva les yeux au ciel et dit : « Père, je te rends grâce parce que tu m’as exaucé. Je le savais bien, moi, que tu m’exauces toujours ; mais je le dis à cause de la foule qui m’entoure, afin qu’ils croient que c’est toi qui m’as envoyé. » Après cela, il cria d’une voix forte : « Lazare, viens dehors ! » Et le mort sortit, les pieds et les mains liés par des bandelettes, le visage enveloppé d’un suaire.
Jésus leur dit : « Déliez-le, et laissez-le aller. »
Beaucoup de Juifs, qui étaient venus auprès de Marie et avaient donc vu ce que Jésus avait fait, crurent en lui.

COMMENTAIRE DE SAINT AUGUSTIN SUR L’ÉVANGILE DE JEAN

« Je suis la résurrection et la vie »

Frères, écoutez, écoutez ce que dit Jésus : Je suis la résurrection et la vie. Toute l’attente des juifs était de voir revivre Lazare, ce mort de quatre jours. Écoutons nous aussi, et ressuscitons avec lui. Il est résurrection, parce qu’il est la vie. Celui qui croit en moi, même s’il est mort, vivra, même s’il est mort comme Lazare, il vivra : parce que Dieu n’est pas le Dieu des morts mais des vivants. C’est la réponse que le Christ fit aux juifs en parlant des patriarches morts depuis longtemps : Je suis le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac et le Dieu de Jacob, non pas Dieu des morts mais des vivants : car tous ont par lui la vie. Crois donc et même si tu es mort, tu vivras ; si au contraire tu ne crois pas, bien que vivant tu es mort.

Un jour, un des disciples du Seigneur voulait différer de le suivre et lui faisait cette demande : Laisse-moi d’abord aller ensevelir mon père. Jésus lui dit : Suis-moi et laisse les morts enterrer leurs morts. Il y avait là un mort à ensevelir et aussi des morts qui allaient ensevelir le mort : l’un était mort dans son corps, les autres dans leur âme.

D’où venait la mort de l’âme ? De l’absence de la foi. D’où venait la mort du corps ? De l’absence de l’âme. La foi est donc l’âme, la vie de notre âme.

Celui qui croit en moi, dit Jésus, même s’il est mort de la mort du corps, vivra de la vie de l’âme jusqu’au jour où son corps ressuscitera pour ne plus mourir, c’est-à-dire celui qui croit en moi, bien qu’il meure, vivra. Et quiconque vit dans la chair et croit en moi, mourût-il pour un temps de la mort du corps, ne mourra pas pour toujours à cause de la vie de son âme et l’immortalité de la résurrection.

Voilà le véritable sens de ces paroles : Celui qui vit et croit en moi, ne mourra jamais. — Crois-tu cela ? Oui Seigneur, lui répondit Marthe, je crois que tu es le Christ, le Fils de Dieu, Celui qui devait venir en ce monde. En croyant cela, j’ai cru que tu es la Résurrection, j’ai cru que tu es la Vie.