Deux versions des Béatitudes nous sont présentées dans les Evangiles : celle de Matthieu qui contient huit bénédictions et celle de Luc, constituée de quatre bénédictions suivies de quatre malédictions. En procédant ainsi, Saint Luc oppose, deux à deux, huit catégories de personnes : les pauvres et les riches, les affamés et les rassasiés, ceux qui rient et ceux qui pleurent, les persécutés et ceux qui ne sont pas inquiétés.
Avouons humblement qu’une telle page d’Evangile a quelque chose de provoquant et suscite bien des questions : comment peut-on dire honnêtement « heureux les pauvres », comment peut-on déclarer heureux des gens qui ont faim, qui pleurent, qui sont insultés et persécutés ? N’est-ce pas plutôt le contraire qui crève les yeux : heureux ceux qui sourient à la vie parce que la vie leur sourit ?
Notre embarras devant l’évangile des Béatitudes atteint son comble lorsque nous entendons ces autres déclarations de Jésus : « Malheureux êtes-vous les riches, parce vous avez déjà votre consolation ».. A-t-on tort de naître dans une famille aisée ? Est-ce un mal de se construire une vie confortable à la sueur de son front ? Pourquoi donc Jésus semble condamner les riches ?
« Bénissez et ne maudissez pas… », c’est le Christ qui l’a dit par ailleurs. Ainsi, les quatre « malheur à vous » que Luc adjoint aux Béatitudes paraissent inconcevables. Une étude du texte original montre que ce « malheur » qui revient plusieurs fois n’est que le fait de nos traducteurs. Il ne se trouve pas dans le texte grec. Le mot employé, « Ouaï », comme son correspondant hébreu « Hoï », ne veulent rien dire, ce sont des cris, comme « Aïe » en français. Voilà ce que dit Jésus : « Aïe aïe aïe vous les riches, prenez garde, vous risquez l’immobilisme et de vous tromper d’objectif. » Autrement dit : « Attention, ne restez pas sans rien faire, bougez, approchez, venez à Dieu. » Il est vrai que la pauvreté, ou l’épreuve aussi, recèle une tentation : celle de se décourager, de ne plus vouloir rien faire.
Le mot « heureux » vient d’ailleurs d’un verbe hébreu signifiant : « debout et en marche ». Ainsi, le bonheur n’est pas une réalité statique qu’il faudrait défendre comme une forteresse contre les épreuves, mais une réalité dynamique. Être heureux, c’est être en marche. Le bonheur, dans la Bible, c’est un chemin menant vers quelqu’un qui donne la Vie.